Logiciel libre oui, mais libre de quoi ?
en frIs "Free Open-Source Software" (FOSS) compatible with capitalism?
This article is about "drama" within the french F(L)OSS community. It might be hard to follow without language-specific context. But for clarification, the term "libertarian" will be used here to designate left-libertarism, as a direct translation of the french word "libertaire".
Il y a quelques temps alors que l'appel à participation aux Journées du Logiciel Libre tournait à nouveau, un habitué de l'événement a trouvé bon de provoquer une shitstorm dans un verre d'eau en soulignant qu'il ne proposerait pas d'intervention cette année à cause d'un passage qui présentait des valeurs anticapitalistes dans le dit appel. S'en est suivi un débat circulaire et ennuyant sur la portée politique du logiciel libre.
Le fait est que oui, le monde du logiciel libre a toujours été un étrange patchwork de différents groupes, rafflant de l'anarchiste convaincu-e aux libéraux qui ont "le coeur qui penche à peu près à gauche".
Le logiciel libre est comme tout mouvement qui se respecte, emplit de ses contradictions. Mais une idée centrale et plutôt consensuelle est que tout-e à chacun-e devrait pouvoir disposer librement de ses appareils et ses données : pas juste techniquement, mais bien libre de toute influence de tout groupe désireux d'exploiter l'un ou l'autre. C'est ainsi qu'au court de son histoire le mouvement du libre s'est posé comme critique des "GAFAMs", de politiques gouvernementales sécuritaires, et de toutes ces grosses machines qui veulent nous persuader que finalement, la vie privée, c'est pas essentiel. La culture du logiciel libre est d'ailleurs, comme toutes les cultures, construite sur des mythes fondateurs et structurants. Aaron Swartz qui a payé de sa vie sa volonté de libérer la connaissance, le rôle des réseaux sociaux dans le printemps arabe, les actions de Telecomix en Syrie, des mouvements qui ont rassemblé au delà des frontières contre des lois mercantiles et liberticides comme SOPA, PIPA, et bien sûr Edward Snowden. Le logiciel libre est un donc intrinsèquement un mouvement politique : si vous vous dites "libriste" mais apolitique, c'est que vous avez raté quelque chose [1].
[1] | Ou que vous voulez dire par là "apartisan-e", ce qui peut parfaitement s'entendre ; mais ce n'est pas le propos ici. |
Mais plus que ça, le logiciel libre est, même s'il n'est pas intrinsèquement anarchiste, libertaire. Pas libéral, libertaire. Il n'est pas là question de liberté d'entreprendre, de liberté d'exploiter. On parle encore une fois de la liberté de disposer de son "soi numérique" et de la valeur qu'il représente, un peu comme les grands mouvements ouvriers du XIXe et du XXe qui ont lutté pour le droit de disposer de leur force de travail. tout comme en écologie, le mot "capitalisme" est rarement prononcé (ou en tout cas, pas sans adjectif spécifique), mais l'idée est là, toujours en toile de fond. Cette pudeur de discours mélé au langage parfois cryptique typiques des mouvements politiques ont semble-t-il créé une méprise : le logiciel libre au yeux de certains lutterait contre le capitalisme de surveillance, mais pas contre le capitalisme lui-même. Voyez-vous, il y a le bon et le mauvais capitalisme : le mauvais capitalisme c'est celui qui exploite les individu-es, et le bon c'est celui qui n'exploite que leur persona en ligne. J'en veux pour preuve les fameuses "quatre libertés du logiciel libre", qui, loin du simple droit de consultation du logiciel open-source, sont une négation complète de la marchandisation. Non pas qu'il soit impossible de monter un business autour d'un logiciel libre, mais parce que ce libre accès lui retire toute valeur économique. Seuls les services fournis autour peuvent être marchandés.
C'est donc avec amertume et incompréhension que je vois aujourd'hui des gens défendre bec et ongles la possibilité de rendre le logiciel libre compatible avec le capitalisme. Qu'on s'entende : on vit dans un monde capitaliste. On nous tâne toute la journée que pour exister, il faut exister financièrement. Ce n'est donc pas étonnant que certaines personnes tombent dans le panneau et deviennent les VRPs de ce système, mais surtout on ne peut pas blâmer les projets libres de grande envergure de devoir recourir à des dons, des campagnes, voire même des services payants pour pouvoir exister. Il faut bien survivre. Mais pourquoi ce désir brûlant de tordre ces idéaux libertaires pour séduire la machine infernale ? Voilà des années que la "communauté" s'acharne à différencier auprès du grand public le logiciel libre de son cousin d'école de commerce l'open-source, avec la même rage taxonomique qu'autrefois utilisée pour le pingouin de Linux. Si les questions d'inclusion et de lutte contre le grand Capital vous donne à ce point des maux de ventre, ce ne sont pas les alternatives qui manquent.
Comble de l'ironie, les personnes qui portent ce discours prennent des grands airs de théoriciens politiques : en attendant, ils affirment que le capitalisme est le système le plus "libertaire", qu'un propos anti-capitaliste est le signe de collusion avec la France Insoumise, et enfin et surtout croient que le capitalisme, c'est juste quand y a de l'argent.
Plus que d'affirmer le caractère anti-capitaliste du logiciel libre, il me semble important —au delà des considérations de survie financière abordées précédemment— de travailler à rendre le logiciel libre le plus hostile au mercantilisme. L'histoire est pavée de mouvements et de projets, qui à trop vouloir s'édulcorer pour "plaire au plus grand nombre" (comprendre, surtout au status quo) ont fini par renier leur cœur politique. Prenons les projets les plus "capitalo-friendly" qui èrent dans le monde du libre, comme les crypto monnaires par exemple. L'idée semble belle au premier abord : les banques et les grandes entreprises abusent du système, passons-nous en. Ainsi débuta une expérience ayant pour but de monter un réseau décentralisé pour permettre aux individu-es d'échanger "librement" de l'argent. Bilan, aujourd'hui le gros de la force de minage est entre les mains d'un groupe restreint et le bitcoin est devenu une machine à spéculer et rien d'autre. Oups [2].
[2] | Et ce sans parler de sa consommation électrique qui inquiète de plus en plus de monde, et que la blockchain peine même à trouver un domaine dans lequel elle est réellement utile. |
Le logiciel libre est libertaire, pas libéral. Le logiciel libre est libre dans le sens où il permet à toutes et tous de disposer de ses appareils et ses données, comme on devrait pouvoir disposer de notre corps et de notre force de travail, sans être forcé à devoir la revendre pour pouvoir survivre et/ou exister. Le logiciel libre n'est pas la liberté d'entreprendre.